OFF #8 | La newsletter pour reprendre le contrôle
Juillet 2023
Pour une consommation anti-impulsive
Bien avant qu’Internet n’existe, le marketing et la publicité avaient déjà pour objectif de nous pousser à acquérir des produits au-delà de nos besoins ou de nos désirs vraiment authentiques. Toutefois, l’environnement numérique, qui absorbe une portion de plus en plus importante de nos vies, est capable de jouer avec nos émotions et notre subconscient d’une façon beaucoup plus profonde qu’avant – une influence qui affecte à son tour notre existence offline.
En profitant de ce début d’été, nous allons analyser dans cette nouvelle édition de OFF pourquoi l’hyperconnexion fragilise notre discernement et notre volonté dans nos actes d’achats, et comment reprendre le contrôle sur notre façon de consommer
Des achats en ligne plus impulsifs
Selon le fournisseur de solutions de e-commerce Shopify, un achat impulsif est « un achat soudain et immédiat sans intention réelle qui le précède ». Juste avant la pandémie, un Américain dépensait en moyenne $155 par mois de cette manière-là, chiffre qui augmenta de 18% en seulement 3 mois de pandémie – période pendant laquelle nos vies étaient plus connectées que jamais. Pour une grande partie de l’industrie, l’objectif est d’inciter le client à ce type de transaction : « Que pouvez-vous faire dans votre magasin en ligne pour les provoquer ? », demande Shopify, qui donne ensuite une série de conseils pour les stimuler.
Le jargon qui s’impose dans l’industrie numérique met en évidence la divergence fréquente d’intérêts entre elle et les utilisateurs. Ainsi, Sequoia (un des principaux fonds de capital-risque) considère qu’un produit est « sain » du point de vue des affaires quand il est « adhésif », c’est-à-dire qu’il génère une récurrence d’utilisation proche de l’addiction.
Ce phénomène devrait augmenter à mesure que l’activité online est de plus en plus orientée vers la consommation, comme cela a lieu sur les réseaux sociaux. Selon Accenture, le « social commerce » (ventes impulsées depuis la propre communauté et le jour-le-jour de notre activité sur les réseaux) devrait passer de 492 milliards de dollars en 2021 à 1200 milliards en 2025 (+ 344% en seulement 4 ans). Au contraire de la publicité traditionnelle, que notre cerveau identifie comme telle, on tend à baisser la garde et à être davantage sous influence face à ce type de persuasion commerciale.
Une étude récente a mis en évidence l’influence croissante des médias sociaux, en particulier d’Instagram et de Tiktok dans la façon de dépenser de l’argent. 59 % reconnaissaient qu’elles achetaient de façon plus impulsive à travers les réseaux que dans des commerces physiques et jusqu’à 45 % d’entre elles s’endettaient dans le processus.
Absence de barrières
De nombreuses études ont montré que les émotions tendent à déterminer davantage nos actes d’achats que notre rationalité. A travers la quantité de données abyssale qui est collectée sur chacun d’entre nous dans nos vies connectées, les plateformes numériques sont capables de connaître de façon précise nos faiblesses et nos émotions du moment. Le neuromarketing sait faire usage de ces informations pour accéder à notre cerveau le plus impulsif, tout en affaiblissant notre esprit critique et notre volonté, avec pour objectif de provoquer des achats de façon hautement personnalisée.
Beaucoup de décisions, y compris d’achats, peuvent être prédites jusqu’à 11 secondes avant qu’ils ne se manifestent de façon consciente, selon une étude de la revue Scientific Report. Les plateformes tendent à avoir une longueur d’avance sur nous en détectant ces désirs potentiels avant nous.
L’environnement numérique met à mal les petits obstacles qui permettent de réintroduire de la conscience tout au long d’un processus d’acquisition : les commerces en ligne sont disponibles 24 heures sur 24, et n’importe quelle envie soudaine, qu’elle découle de notre volonté ou qu’elle nous ait été inculquée, peut se transformer en achat en une question de secondes. L’exemple le plus connu est le fameux bouton one-click buy d’Amazon, qui permet au client de réfléchir le moins possible pour effectuer une emplette.
Tous les processus qui impliqueraient normalement un long parcours plein d’embûches depuis la formulation plus ou moins consciente d’un désir jusqu’à la satisfaction de ce dernier peuvent être réduits à quelques secondes. C’est ce qu’illustre Google Lens, qui permet d’identifier instantanément les vêtements que quelqu’un porte ou un objet quelconque et de savoir où l’acquérir. L’intervalle entre le moment où on pense « l’habit que porte untel me plaît » et « je me l’achète » se contracte et peut ne durer que quelques secondes.
Pour une consommation anti-impulsive
Face au cycle de « conversion » parfait promu par les spécialistes du marketing digital, dont le projet est de maximiser la consommation impulsive, nous proposons ici un idéal opposé : la consommation anti-impulsive.
Cela implique de nous éloigner de la logique d’immédiateté et de réintroduire des pauses, de la conscience et du discernement dans nos actes d’achat. Il ne s’agit pas forcément d’adopter un style de vie ascétique ou une sobriété extrême, mais de poursuivre nos désirs les plus authentiques et d’éviter que des tiers nous poussent vers des acquisitions excessivement artificielles.
Quand nous percevons le désir d’acheter quelque chose, je suggère que nous laissions systématiquement cette envie dans un coin de notre tête ou nous l’écrivions sur un bout de papier et lui donnions du temps (des jours, des semaines, voire beaucoup plus) pour nous aider à distinguer les désirs profonds de ceux qui pourraient n’être qu’éphémères.
On peut se poser deux types de questions :
1. En avais-je envie hier, en ai-je envie aujourd’hui, et en aurai-je envie demain ? Durant ce processus de décantation, les désirs les plus authentiques demeureront, voire se raffermiront, alors que les autres s’évaporeront.
2. Cela répond-il à une logique d’accumulation ou de substitution superflue ?
Ai-je déjà quelque chose qui remplisse la même fonction ?
En ai-je besoin d’une nouvelle ou d’une plus récente ?
Que m’apporte le dernier modèle par rapport au précédent ? (obsolescence par le design)
Pourquoi ne pas commencer par restreindre, au moins cet été, nos achats aux commerces physiques et mettre nos achats en ligne en pause ? Cela n’est sans doute pas suffisant pour adopter cette philosophie du slow shopping mais ce pourrait être un bon premier pas.
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Une fois par mois, je propose une réflexion sur une facette spécifique de l’influence du numérique dans nos vies afin de gagner en compréhension face au bouleversement accéléré de notre quotidien.