OFF #21 | La newsletter pour reprendre le contrôle
Octobre 2024
OFF #21 | Pourquoi doit-on préserver l’argent liquide ?
Bonjour,
La Suède est l’un des pionniers de la digitalisation de son économie et de ses services. Pourtant, elle a récemment découvert les limites du numérique tous azimuts au moins dans deux domaines : l’éducation et les moyens de paiements.
L’an dernier, le pays scandinave annonçait qu’il faisait marche-arrière sur le numérique éducatif et revenait aux manuels scolaires imprimés après avoir établi que cette politique ne favorisait pas un meilleur apprentissage. Un sujet dont l’association Éducation numérique raisonnée s’est d’ailleurs emparé en France et qui a fait l’objet d’une récente tribune dans Le Monde que j’ai eu l’honneur de cosigner.
Désormais, la Suède s’inquiète de la disparition de l’argent liquide, qu’elle avait pourtant appelé de ses vœux à l’horizon 2030 il n’y a pas si longtemps. Pourquoi ?
Image tirée d'un article de la Riksbank, la banque centrale suédoise.
Guerre contre le cash
Les 56 milliards de couronnes qui circulaient dans le pays en 2020 représentaient seulement 1,2 % du PIB (la moyenne européenne était de 10 %) et seul 8 % de la population avait effectué un paiement récent en espèces. Rien qu’entre 2010 et 2016, ce moyen de paiement avait diminué de 60 % dans les commerces.
Les banques elles-mêmes commencèrent à éliminer les distributeurs de leurs agences et dans certaines régions, il fallait parcourir plus de 40 kilomètres pour retirer des billets.
La pandémie a également accéléré la digitalisation des paiements et a servi de prétexte pour privilégier le sans contact pour des raisons sanitaires (c’est bien connu, les pièces et les billets étaient le principal vecteur de transmission du Covid 😊). Les paiements en espèces sont d’ailleurs toujours interdits dans certains lieux tels que de nombreuses compagnies aériennes.
Les avantages de payer par carte ou avec son smartphone sont évidents, aussi bien pour le consommateur que pour les institutions financières ou les États : fluidité, traçabilité, réduction des coûts de transport de l’argent, etc. Alors, quelles sont les raisons pour lesquelles on devrait préserver l’argent liquide ?
Vulnérabilité
“Sin dinero en efectivo, la vulnerabilidad a interrupciones del suministro eléctrico y de Internet aumenta.”
Riksbank (Banco central de Suecia)
Faire disparaître l’argent liquide avait notamment pour objectif de lutter contre tous types de fraude. Or, il semble que l’inverse se soit produit. Selon un haut fonctionnaire du parquet suédois, ce pays est devenu une véritable « Silicon Valley de l’entreprenariat criminel ».
En 2023, les arnaques en ligne ont été multipliées par 2 par rapport à 2021 et l’industrie cybercriminelle représentait 2,5 % du Produit Intérieur Brut. De même que d’autres domaines que nous couvrons dans OFF, numériser un processus signifie aussi l’exposer à différents types de vulnérabilités.
Au-delà de la cybercriminalité, seul l’argent liquide serait opérationnel en cas de catastrophe affectant les systèmes de télécommunications. Dans le contexte de sa récente entrée dans l’OTAN, la Suède est particulièrement exposée à de potentielles cyberattaques russes contre ses infrastructures critiques qui pourraient notamment affecter son système de paiement hautement numérisé.
Surveillance
En Chine, le pistage des achats alimente le calcul du score de chaque individu dans le cadre des systèmes de crédit social qui contribuent à une société d’hyper contrôle visant à façonner des citoyens exemplaires. Alors qu’acheter des couches fait gagner quelques points, d’autres dépenses sont considérées davantage anticiviques.
Mais les démocraties libérales n’échappent pas complètement au type de surveillance que permet l’argent numérisé. Dans Anesthésiés, j’expliquais comment les data brokers tels qu’Acxiom Corporation ou ChoicePoint extraient des données à partir de notre historique de carte bancaire qui pouvaient intéresser les agences de marketing, les banques ou les compagnies d’assurance.
Grâce au big data, les habitudes d’achat permettent par exemple de déterminer la probabilité qu’une personne souffre d’une maladie. Quelqu’un qui aurait réglé par carte une thérapie de couple pourrait également se retrouver sans le savoir dans la catégorie des probables futurs mauvais payeurs, dû à une simple corrélation statistique entre la probabilité de divorcer et le fait de traverser des difficultés financières. Hormis les nombreuses erreurs que contiennent ces bases de données, cette pratique consiste à transformer des schémas statistiques en inductions douteuses, susceptibles de poursuivre un individu pendant toute sa vie.
Préserver l’argent liquide
Depuis 2020, le pays nordique qui avait proclamé quelques années plus tôt la fin du cash pour 2030, a changé de cap pour favoriser que celui-ci soit davantage utilisé. La loi sur « l’obligation des institutions de crédits à approvisionner en argent liquide » garantit notamment la possibilité de retirer des espèces dans un rayon de moins de 25 kilomètres.
Cette politique de retour au cash a également un motif social : l’argent digital est un facteur additionnel de ségrégation dans un pays où des services aussi basiques que les toilettes publiques n’admettaient parfois pas de règlement en espèces.
Mais nous pouvons également agir au niveau individuel. L’argent liquide fait partie des OUF ou Objets à Unique Fonction (concept que je proposais dans OFF #4 et repris dans mon dernier livre, Reprendre le contrôle) qui semblaient obsolètes, au même titre que les réveils-matin, les appareils photo, les journaux en papier, etc. à mesure qu’ils ont été remplacés par une appli de plus dans les smartphones.
En réalité, utiliser ces OUF permet de mitiger 3 problèmes que posent les smartphones : la surveillance, la distraction et l’externalisation de nos fonctions cognitives.
Ilustración de Cinta Fosch para el libro Retomar el control
Si vous avez l’habitude de payer systématiquement par carte, je vous suggère que vous fassiez l’effort d’effectuer au moins la moitié de vos règlements en espèces.
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Una vez al mes, propongo una reflexión sobre una faceta específica de la digitalización de nuestras existencias y sus consecuencias.