« Anesthésie » numérique et médecine : quel rapport?

« Sommes-nous anesthésiés par l’IA ? ». Voici le titre de la conférence que j’ai eu l’honneur de donner au congrès international de pédiatrie organisé par SMURNEP à Tanger au début du mois.

Bien que reconnaissant de cette invitation, je trouvais cela un peu osé de venir parler d' « anesthésie » à une assemblée de professeurs de pédiatrie quand on n’est soi-même pas médecin. Néanmoins, l’anesthésie que j’y ai décrite est un peu particulière puisqu’elle n’est justement pas administrée par des médecins, mais par une partie de la technologie numérique. Et ses doses sont d’autant plus puissantes quand elle est boostée par l’IA. Elle donne lieu a une opération à laquelle nous n’avons pas consenti, au cours de laquelle nous sommes vidés d’une partie de notre attention, de nos choix et de notre temps.

Mais quels rapports avec la médecine ?

Cette opération ne relève pas de la spéculation philosophique : son impact de sur la santé est bien tangible — en premier lieu, chez les jeunes. On pense bien sûr en premier lieu à la santé mentale, tel que je l’ai décrit à de nombreuses reprises. Sans passer tous les chiffres en revue, rappelons tout de même :

🟡 + 36 % de dépression dans l’ensemble de la population française entre 2017 et 2021.

🟠 + 80 % chez les 18-24 ans.

🔴 De 12 à 21% chez les jeunes de 17 ans... en seulement 4 ans.

Certes, il y a un effet Covid. Mais ces tendances ont commencé au début des années 2010 et plusieurs études ont établi un lien de causalité entre cette augmentation fulgurante et l’accès sans limite au numérique.

En revanche, on parle moins de son impact sur la santé physique.

Et pourtant, le corps pâtit aussi de l'omniprésence du numérique, notamment du fait de l’augmentation accélérée de la sédentarité :

🚶‍♂️ En 25 ans, la vitesse maximale de course des enfants a diminué d’1 km/h.

🏃‍♂️ 37 % des 6-10 ans et 73 % des 11-17 ans n’atteignent pas les standards d’activité physique recommandés par l’OMS.

Ces tendances sont assez uniformes géographiquement et vont bien au-delà des exemples cités : détérioration du sommeil ; troubles de la parole et du langage, etc. La seule « bonne » nouvelle est que les jeunes souffrent de moins de blessures et de traumatismes puisqu’ils bougent beaucoup moins (divisés par 2 en Espagne selon une étude de CyberGuardians). Doit-on s'en réjouir ?

L’impact de ce phénomène sur la médecine ne s’arrête peut-être pas là : certains de ces jeunes adultes seront nos médecins de demain. À l’issue de ma conférence, un professeur de médecine m’a confié que, depuis quelques années, il estimait qu’environ 3 de ses 300 étudiants étaient véritablement présents quand ils étaient face à lui dans l'amphi. Les autres étaient anesthésiés par leurs dispositifs.

S’il y a bien quelque chose qu’on attend de nos futurs médecins, c’est qu’ils préservent leur faculté d'attention.

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